Boulimie et identité
Surdoué dans son métier… il était perdu dès que l’affectif est en jeu
Bien très cultivé et très intelligent, chargé de cours à l’université, ce jeune homme, dans sa vie privée, avait du mal à regarder les gens dans les yeux tant il avait peur d’être jugé. Même la relation avec ses parents était extrêmement difficile. Il idéalisait son père et au fond de lui-même, il lui reprochait de ne m’être pas à l’image de son idéal. Le travail en groupe permet d’atterrir dans une réalité où personne n’est parfait, même pas ses parents sans que cela soit un drame parce qu’on a plus besoin des autres de la même façon quand on acquiert son autonomie.
Surdoué dans son métier… il était perdu dès que l’affectif est en jeu. Voici le texte de son témoignage :
« – Moi je suis dans le milieu universitaire. J’ai l’habitude d’avoir les personnes, les aînés qui sont les sachant, au-dessus et nous on est en dessous, donc c’est à nous d’apprendre.
J’étais dans cette optique-là, j’étais formaté comme ça, il faut faire attention à la personne qui est en face de soi, le thérapeute, parce qu’il faut rester en dessous.
En fait, j’ai appris ici qu’avec les autres, et avec toi, on est au même niveau. C’est ça qui change tout. Parce que avec les psychologues et les psychiatres, je n’avais jamais connu ce rapport, d’égal à égal, où il y a un vrai dialogue, la communication. D’ailleurs c’est ça que tu nous apprends ici, la communication, échanger entre nous. Cet échange est possible parce que les personnes sont au même niveau. Quand on arrive ici, je n’ai pas l’impression qu’on soit au même niveau. Soit on est dans la violence, on crie sur l’autre, et on prend le dessus, ou je pouvais être en dessous faire le carpet et me laisser écraser par l’autre. En fait, progressivement, dans les groupes, on apprend à rééquilibrer ça. C’est cet éléments-là qui m’a permis d’être présent avec les gens. Du coup, toute la notion de légèreté est possible par le dialogue avec l’autre. Je deviens conciliant dans l’écoute et dans la parole quand tu parles de toi quand tu parles de laisser des silences je ne savais pas qu’on pouvait profiter de regarder l’autre sans parler. Je me suis dit mais comment va s’en sortir ?
– On voit plein de personnes qui rient ; ça veut dire que vous aussi vous avez connu ça, remplir tous les silences ?
– Et puis le regard de l’autre… tu te rends compte ? Le regard de l’autre, c’est un des pires exercices que j’ai pu faire dans le cadre de la thérapie.
– Ce qui t’a permis de le faire en dehors du groupe aussi ?
– Avec mon père par exemple, on avait complètement rompu le contact, et je peux arriver aujourd’hui à être devant lui pendant 10 minutes, 15 minutes, juste le regarder. Alors lui il est mal à l’aise, mais il accepte comme ça. De toute façon, comme il n’aime pas trop parler, on ne parle pas. Mais je le regarde comme ça, je profite, et je me raconte des trucs… ça devient un plaisir d’être en contact avec la personne sans parler. Il n’y a plus de peur.
– Même avec ton père qui était le problème ?
– Même avec le dernier petit ami, quand on était au resto je mangeais très lentement, mais ce n’est pas ce qu’il fallait que je parle à chaque bouchée parce qu’il ne fallait pas laisser de blanc. »
Boulimie un problème d’identité ? Nous avons créé ce site pour attirer l’attention sur la vraie source du problème : problèmes d’identité et relationnels affectif.
Au moment de sa création, le monde médical s’employait alors à faire disparaître le symptôme boulimie-anorexie en aidant les gens à manger sainement. L’objectif des médecins était d’aider les gens à contrôler alimentation normale afin qu’ils retrouvent un équilibre alimentaire. Dans les premiers temps du traitement, les médecins parvenaient à réduire les prises ou perte de poids, et, ce faisant, s’attendaient à voir également disparaître les troubles psychologiques qu’ils attribuaient au trouble du comportement alimentaire : honte, dépression, difficultés relationnelle.
Voilà comment se comprenait et se traitait la boulimie anorexie (et possiblement aussi les autres addictions) et comment elle est encore comprise dans le monde médical. C’est pourquoi e boulimie.fr a été créé pour proposer un regard différent. Comprendre différemment un problème c’est aussi l’aborder différemment en thérapie.
Boulimie et identité
Boulimie et identité : l’éclairage psychologique
Nous avons créé ce site pour proposer un éclairage psychologique sur les causes de l’addiction alimentaire, afin que les personnes concernées par ce problème voient au-delà de la compréhension médicale. La médecine et la psychiatrie ont une bonne maîtrise pour soigner les symptômes issus de la boulimie-anorexie (lorsqu’ils apparaissent), mais la psychologie, et en particulier la psychanalyse1, qui ne réduisent pas l’individu à ses symptômes, sont mieux adaptées pour comprendre le problème de fond.
Boulimie et identité
La boulimie vient-elle d’un problème d’identité : la première hypothèse médicale
En effet, depuis toujours les thérapies des services médicaux spécialisés, consistent à imposer trois repas réguliers par jour, que ce soit en hospitalisation ou en externe, comme si une meilleure alimentation pouvait résoudre tous les problèmes, somatiques et psychologiques.
Boulimie et identité
Faire le point avec un psychiatre ?
Dans certaines institutions, un psychiatre intervient quelques minutes par jour ou une demi-heure pas semaine pour « faire le point ». Les résultats immédiats leur donnaient raison : lorsque le poids se stabilisait, le moral s’éclaircissait et la confiance en soi remontait.
Mais le poids ne se stabilise pas éternellement. En effet l’obsession de la nourriture persiste et les pulsions reprennent leur pouvoir, se faisant de plus en plus tyranniques, au point que la boulimie anorexie reprend comme avant. Pour certaines personnes, après une hospitalisation, les crises sont un peu moins fréquentes mais tout aussi intenses, suffisamment pour « prendre la tête » du matin au soir, avec un sentiment d’échec et de dévalorisation redoublé.
boulimie et identité
Les recherches ne s’arrêtaient pas
Avec le temps, les institutions médicales, continuaient à chercher d’où vient la boulimie. Démunies face au désarroi des ados et des personnes qui rechutent, ont choisi de devenir multidisciplinaires mais tout en gardant la même philosophie, soigner les symptômes : nutrition pour revenir à un poids viable, méditation, groupes de parole, ateliers artistiques, pour augmenter l’estime de soi.
Ainsi on tente d’entraîner les gens à manger normalement et on les aide à augmenter leur estime de soi. Mais on ne se donne pas tous les moyens pour questionner le problème de l’identité, d’être soi.
Boulimie et identité
On ne peut pas acquérir de l’estime de soi quand on n’a pas de soi
D’où vient la boulimie ? Vous l’aurez compris, le problème n’est pas un problème comportemental de nutrition. Or comment acquérir de l’estime de soi ou l’augmenter, si le problème vient d’une impossibilité à être soi ? Si d’apparence de nombreuses personnes boulimiques anorexiques ou hyperphagiques semblent parfois avoir un soi bien affirmé, est-ce leur vrai soi ? Même si les années pré-adolescentes se sont très bien passées, même si les résultats scolaires étaient très bons, même lorsque l’on a le sentiment d’avoir baigné dans une famille heureuse et de s’y être senti très bien (ce qui est souvent le cas), cela signifie-t-il que l’on a réellement construit SON identité à soi ?
Pas vraiment selon les psychanalystes qui se sont penchés sur les troubles développementaux de la petite enfance qui empêchent d’accéder au sentiment de soi et à une « sexualité » plus mature, que Freud et plus tard Lacan décriront dans les troubles névrotiques.
Ceux qui souffrent d’une addiction ne sont peut-être pas des névrosés comme la majorité des gens, c’est-à-dire des gens qui ont des conflits avec eux-mêmes mais qui malgré tout sont eux-mêmes. Ils n’ont peut-être qu’une identité d’emprunt, une identité d’emprunt construite à coup d’intelligence et de créativité pour tenir la route dans un monde où il est nécessaire de se faire une place parmi les autres. Mais au final peut-être sont-ils quelqu’un qui, sans s’en rendre compte, n’est pas soi-même, avec un sentiment de vide et de décalage qui oblige à s’appuyer sur une addiction quand l’angoisse se fait sentir ?
D’où vient la boulimie ?
Pourquoi la nourriture et pas la drogue ?
Pourquoi préférentiellement la nourriture et pas l’alcool ou la drogue, bien que certains en prennent également pour prolonger et intensifier leur apaisement ? Peut-être parce que ces personnes s’emparent de l’addiction la plus primitive qui soit, celle qui correspond le mieux à leur personnalité affectivement immature. Ce sont des adultes à l’apparence souvent totalement accomplie, qui ont une vie émotionnelle de tout petit enfant : au fond d’eux-mêmes, parfois sans le montrer, tels les bébés qui passent du rire au drame en l’espace d’un instant, ils se sentent vides, avides de reconnaissance et de nourriture affective qu’ils attendent massivement de l’autre. Immanquablement frustrés, certains préfèrent s’isoler, d’autres tentent de s’accrocher désespérément à toute personne qui leur donnera la sensation de se sentir à peu près un humain, comme les autres humains qui ont leurs propres soucis identitaires mais qui, malgré tout, n’ont pas de doutes sur leur existence propre.
Les psychanalystes Jean-Louis Pedinielli et Agnès Bonnet, dans un article qu’ils ont intitulé « Apport de la psychanalyse à la question de l’Addiction »2 ont développé un point de vue intéressant. Selon eux, La pratique analytique ne peut réduire le sujet à son addiction. Elle doit se consacrer à soutenir le sujet dans la désaliénation de son identité d’emprunt.
boulimie et identité
Le passé toujours présent sous la forme de discours intérieur négatif
Il n’empêche que certaines personnes ne parviennent pas à créer du nouveau, tant elles sont engluées dans leur passé, sans le savoir, sous la forme de discours intérieurs négatifs qu’elles se tiennent à elles-mêmes : « Je suis moins bien que les autres », « j’ai des bons résultats scolaires (ou professionnels) mais, au fond, je suis nulle », « je ne suis rien sans mes parents …mon compagnon … mes enfants… mon mari… mon travail». Elles n’ont pas conscience que ces assertions négatives ne sont pas la réalité mais les séquelles d’un malaise infantile souvent précoce qui ne laisse pas sa place au présent.
boulimie et identité
La présence ou l’absence de l’autre
En tant que nourrisson, on n’a pas encore la faculté de penser, mais on perçoit déjà la présence ou l’absence de l’autre. Selon que la personne maternelle est très réactive ou pas aux indices minimaux indiquant les changements de rythme et les besoins de l’enfant, ce dernier peut se sentir en confiance ou pas. Si les moments de désarroi sont plus fréquents que les moments d’apaisement, et si face à ces moments de désarroi la personne maternelle n’a pas la faculté de rassurer l’enfant, ce dernier peut ressentir un stress envahissant qui va compromettre ultérieurement sa relation à lui-même et aux autres.
Il arrive aussi que la personne nourricière soit très accompagnante, très réactive et cependant pas suffisamment apaisante pour des enfants émotionnellement fragiles. Quand le nourrisson naît avec un organisation neurophysiologique qui fait de lui un bébé émotionnellement hypersensible, et que la réponse de la personne nourricière ne répond pas à tous ses besoins, l’insécurité, la peur, le manque de confiance en l’autre (c’est un ressenti pas un sentiment) fait qu’il ne développe pas de confiance en lui-même, ce qui conditionne toute sa vie relationnelle ultérieure.
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Sans estime de soi, on s’agrippe aux autres pour se sentir en vie
Quand on entre dans l’intimité des personnes qui ont une addiction sévère, on se rend compte qu’elles n’ont pas d’estime pour elles-mêmes au point qu’elles sont obligées de s’agripper aux autres (dans le domaine affectif) pour se sentir en vie. Si il n’y a pas possibilité de s’accrocher à quelqu’un, parce qu’on a trop peur ou que l’on est déçu par la relation aux autres, ou que l’on a fait fuir tout le monde… on se sent plus proche de la non vie que du sentiment d’exister. Alors, pour ne pas basculer dans la dépression, on a recours à un comportement addictif: drogue, alcool, médicaments, nourriture… parfois tout à la fois pourvu qu’on ne pense plus.